mercredi 22 octobre 2008

la vieille dame

Je collectionne les anecdotes de ma vie comme d’autres des timbres et, comme toute bonne collection qui se respecte, j’ai l’intense impression qu’elle n’intéresse personne d’autre que la collectionneuse… Mais bon. Puisque certaines de mes connaissances m’ont fait remarqué l’immense gaspillage que constitue l’absence de ces anecdotes de la mémoire collective et que j’avais peut-être le potentiel pour les écrire, je me suis dit… pourquoi pas?

L’autre jour, alors que je travaillais encore, une dame de 92 ans m’a fait sourire. Elle me parlait depuis une heure au téléphone, de tout et de rien, elle était joyeuse et bizarre comme seules peuvent l’être des dames de 92 ans au téléphone un mardi après-midi. N’ayant rien d’autre à faire de plus intéressant que de sourire, cet après-midi là, j’ai décidé d’en profiter. Elle me racontait sa vie, en anglais, en français, en riant. Elle me disait qu’elle n’était pas seule puisqu’elle avait un frigo qui bourdonnait et fredonnait tout l’après-midi… Elle n’était pas folle, loin de là, elle prenait simplement les petits tracas de notre vie quotidienne pour amis. Elle s’amusait à me chanter les refrains de son frigo et trouvait hilarant que je retienne mon rire. Je ne l’avais jamais vue mais je l’imaginais frêle et riante, comme une ado de 15 ans ridée. Elle m’a marquée. Je n’ai pu m’empêcher de parler d’elle à mes collègues, qui, en ayant vu d’autres, ont pris mon extase pour de l’inexpérience.

Un mois plus tard, je viens de terminer ma journée, je suis sensée courir vers le rien qui m’attends à la maison, laissant le quart du soir aux soins d’une autre, quand je vois cette salle d’attente bondée… N’écoutant que mon grand cœur et mon courage légendaire, je décidai de voir une dernière personne avant de quitter.

Je prends le dossier, nomme la personne et vois s’avancer vers moi une vieille dame fragile, les yeux rieurs, les cheveux d’un blanc fier et qui me demande si je suis Elizabeth. Je lui dis que non, malheureusement, qu’Elisabeth est occupée mais que je ferai de mon mieux pour la servir aussi bien qu’elle. Elle me prends le bras, me tire vers son oreille et me chuchote : ‘Je suis sûre que tu seras tout aussi bonne…’. Je l’aimais déjà.

Elle s’installe, se met à me parler de son augmentation de loyer -qui ne doit servir que de prétexte à sa visite puisqu’elle est très en retard pour y répondre et qu’elle le sait- et soudainement, je comprends. C’est MA vieille dame! Je la regarde et lui dit que je me souviens d’elle. Elle semble incrédule.
-Se souvenir de moi alors que vous voyez tant de gens dans une journée? C’est vous Elizabeth, alors!

Elle a confondue mon nom. Mais se souvient pleinement du notre conversation décousue. Et celle-ci repart de plus belle. Sa vie. Elle était une pionnière. Elle a une famille qui l’aime encore, ce qui m’épate puisque la mienne n’a que 11 ans et déjà elle s’effrite à qui mieux-mieux. Elle observe mes mains. Remarque l’absence d’alliance et me fait remarquer que de toutes façons, les hommes de mon âge ne veulent qu’un bon repas et un lit, pour ensuite s’enfuir au petit matin. Me dit qu’elle va me trouver ‘a nice man’ et que, justement, l’autre jour chez son épicier son fils cadet semblait intéressant… Elle me raconte ma ville du temps où les femmes devaient se cacher derrière leurs grossesses, leurs maris, leurs comptoirs. Elle me raconte la mort de son fils de 24 ans il y a déjà des décennies de cela, les larmes toujours aux yeux. Elle me parle des magnifiques tapis de son appartement, des conversations entières qu’elle a eu avec des inconnus, elle me parle comme si j’étais assise sur ses genoux, à la fois petite fille et intime.

Elle restera presqu’une heure et en tout ce temps elle ne dira absolument rien digne d’être noté dans son dossier mais tout à retenir quand on cherche un sens à la vie.

Elle était magnifique et je suis sûre que même si 60 ans nous séparent, elle est en réalité une ado de 15 ans juste un peu ridée.

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